Je me souviens d’un soir, courant chez un caviste encore ouvert à une heure tardive, et lui demander de but en blanc un vin « pour soulager une peine de cœur ». Regard étonné. De souvenir de caviste, personne ne lui avait jamais demandé cela. Pourtant, quoi de mieux que le vin pour soigner…ou au moins épancher une peine de cœur ?

Intrigué, j’en ai parlé par la suite à un ami sommelier, qui a eu du mal à me répondre. Selon lui, l’idéal pour une femme est une bouteille de champagne. Pour un homme, le sujet est plus complexe, et à son avis, la meilleure bouteille de vin pour ce moment est celle de ses rêves.

Tristesse
J’ai beaucoup réfléchi sur cette question, et encore aujourd’hui, je pense qu’il est difficile de donner une réponse simple, claire et rapide. Bien qu’il soit vrai après une rapide étude tout sauf exhaustive que le champagne semble être un remontant idéal pour la gente féminine (le côté festif, boisson d’exception…), tout n’est pas si simple pour mes homologues masculins. Je me vois mal offrir une bouteille de rêve à un pote en détresse. Au même titre que je ne m’imagine pas boire un grand Montrachet ou autre Bonnes-Mares dans un moment comme celui-là. Bien au contraire, j’ai plutôt envie d’être en pleine possession de mes moyens pour profiter de quilles comme ça !

Quel but doit remplir un tel vin ? Déjà, il doit se faire oublier, car de toute façon, il sera oublié (vous vous en souvenez, vous, du vin que vous avez bu après un chagrin d’amour ? Non. Et bien voilà). Donc il doit se faire oublier, pour cela, exit les acidités trop marquées qui réveillent et donnent du peps. Dans ce genre de situation où le sommeil se fait rare, l’excitation d’une acidité trop nette n’est pas des plus bienvenue… Oublions donc les Riesling tirés au cordeau ou les Sancerre trop pierre à fusil. Selon moi, un soir de déprime, il faut avant tout parler, et pour parler, quoi de mieux qu’un cadre reposant, apaisant, où l’on se sent en sécurité  ? Pour la même raison que pour l’acidité, j’aurais tendance à éviter les tanins trop vifs et trop accrocheurs. Non, le maître mot est suavité, velouté. Un vin qui accompagnera toute la soirée, offrant le degré alcoolique qui permet de délier les langues sans les brusquer.

champagne
Mon choix se tournerait donc vers plusieurs types de bouteilles :

–    Un vin rouge fruité et aux tanins soyeux du sud. Provence (je pense au Domaine de la Croix Rousse et son No Question rouge), vallée du Rhône (les vins du château Juliette) ou encore le Languedoc (Mas D’Agalis) peuvent répondre à ce complexe cahier des charges. Un grand vin ayant bien vieilli et ayant ses tanins fondus peut répondre, mais on en revient à la question de l’appréciation d’un grand vin durant ces moments d’instabilité émotionnelle.

–    Un vin blanc moelleux. Sans forcément sortir un Yquem ou un Climens. Un très bon Sainte-Croix-du-Mont (château Bel-Air, château La Rame) fera parfaitement le job, tout comme un vin moelleux de Loire (Vouvray moelleux de chez Philippe Foreau ou Philippe Brisebarre, Montlouis de François Chidaine). Notez que des vendanges tardives alsaciennes ou un jurançon peuvent aussi faire parfaitement l’affaire, avisez selon l’humeur (et le stock).

–    Un vin blanc charpenté. Pourquoi pas un Bourgogne très propre sur lui ? Une Monatine d’Alain Patriarche, ou alors en Alsace un Pinot Gris de chez Barmes Buecher peuvent aussi faire le boulot en toute quiétude.

Voilà l’état actuel de ma réflexion sur « le vin de peine de cœur ». Quel est le vôtre ?

P.S : Au fait, j’avais acheté un excellent côtes du Rhône rouge ce soir-là… Peine de cœur parfaitement épanchée et ami remis sur pieds. Good job guy !