L’univers du cocktail est riche de mythes, stéréotypes et références… et ce n’est pas la période de la prohibition qui dira le contraire ! En bon lecteur de BD/comics/manga que je suis, je n’ai évidemment pas échappé aux Gouttes de Dieu, le manga phare des amateurs de vin. J’en ai d’ailleurs même fait une critique, c’est dire !

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En buvant, le monsieur il voit ça…si si…

Dans ce manga, le héros est doté d’un superpouvoir dont je suis terriblement jaloux : à peine a-t’il trempé ses lèvres dans un vin qu’il est transporté dans un monde, un univers qui correspond à ce vin. Facile alors dans une telle situation de reconnaître autant de vins à l’aveugle me direz-vous !

Quoiqu’il en soit, je n’ai pas ce superpouvoir (ni celui de coller au mur et d’avoir un sens d’araignée … et c’est pas faute de traîner avec des araignées radioactives). En revanche, à défaut, je me projette très facilement dans un autre monde en buvant… des cocktails. Oui, le cocktail a cette capacité de me transporter dans un imaginaire différent, et pour moi, chacun d’entre eux a son monde, son univers bien particulier. Quelques exemples ?

Le Mint Julep de Goldfinger

Quand je bois un Mint Julep (menthe, bourbon, sucre, eau), je me vois sur la terrasse d’une maison en Louisiane/Mississippi, un peu comme dans Forest Gump (ou dans Goldfinger, au moment où ils boivent…un Mint Julep !). Il fait chaud, la maison est entourée d’arbres, et la fraîcheur de ce cocktail à base de whisky/bourbon et de menthe me rafraîchit comme aucun.

Le Sazerac de la Nouvelle-Orléans

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Oui, avec un Sazerac, on peut arriver ici…

Restons dans la région avec un Sazerac (bitter Peychaud, absinthe, cognac, whisky, citron). En le portant à mes lèvres, je m’imagine à la Nouvelle Orléans. La Nouvelle Orléans d’avant Katerina, celle que l’on voit tout aussi fantasmée dans le tome de la BD Blacksad L’enfer, le silence. La musique est là, il fait chaud, je suis dans un bar où l’on entre par l’angle de la rue, et mon Sazerac moitié bourbon-moitié cognac n’a jamais été aussi savoureux.

La plage des Caraïbes du Dark N’Stormy

Dans un esprit différent, un Dark N’Stormy (rhum black épicé, ginger beer) me transporte plutôt sur une plage. Quelque chose comme les Bahamas, juste avant un gros orage. La chaleur est pesante, et on aperçoit au loin les gros nuages qui vont venir nous éclater la tronche, nous offrant cette lumière bien particulière, un rouge profond, beau et menaçant. Eh bien j’observe cela, mon Dark N’Stormy à la main, prêt à affronter le déluge. D’ailleurs sa recette est ici.

Dans ces trois cas, je me visualise très bien dans des lieux où je n’ai en fait jamais mis les pieds. Ces sensations visuelles viennent surtout de l’imagerie véhiculée par ces cocktails, et les moments cinématographiques où je les ai découverts. Mais il existe des cocktails qui sont pour moi des réminiscences de lieux que j’ai déjà visités … et où j’ai déjà bu leurs petits frères.

Le Old Fashion de Don Draper

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Ok Don, fait pêter le Old Fashioned !

Prenons comme exemple le Old Fashioned (angostura, whisky/bourbon, sucre, eau gazeuse). C’est pour moi le contraire même du cocktail festif. Je n’envisage pas de le boire dans un parc, où à une fête. Non, le Old Fashioned, c’est un fauteuil club dans une atmosphère cosy. C’est une boisson que tu bois en costume (Mad Men ?), en fumant un bon cigare.

Le Bellini et French 75 du Palace

Dans le même style, un Bellini (champagne, purée de pêche) est un cocktail de bar de Palace. C’est ce que tu bois au Plaza, au Ritz où au Meurice (lieu où on est apparemment censé servir le meilleur du Monde), accompagné d’une créature de rêve. Et oui, le champagne et la purée de pêche, c’est une boisson pour draguer non ?

Sinon, pour draguer au Ritz, le French 75 (gin, champagne, citron, la recette est ici) pourrait aussi faire l’affaire. Mais pour moi, il est plus lié à une soirée entre hommes. On fête quelque chose (bah oui, il y a du champagne), et on est au Ritz, le plus français des Palaces. Car le French 75, ça ne peut pas être bu ailleurs. Un point c’est tout.

Le festif Horse’s Neck

On change complètement de style avec le Horse’s Neck (angostura, ginger ale, cognac, recette ici). Le Horse’s Neck, c’est une boisson avant tout rafraîchissante, avec le côté festif et estival. C’est le cocktail que tu bois dans un jardin, en fin d’après-midi ou début de soirée, en écoutant de la musique avec des amis. En fait, pour moi, le Horse’s Neck, c’est le cocktail que tu vas boire au Cognac Blues Festival par exemple (oui, le souvenir est ici bien ancré).

Un peu dans le même esprit, nous avons l’inénarrable Gin Fizz (citron, sucre, eau gazeuse, gin, voir ici pour la recette), mon chouchou de toujours. Le Gin Fizz, c’est une terrasse au soleil, un apéritif, quand le ciel est bleu et le soleil haut. La boisson du bonheur, tout simplement non ?

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Un Julep ?

D’où viennent ces diverses visions ? Il y a déjà une part culturelle (un Bellini au Meurice, un French 75 au Ritz, un Mint Julep à la manière de James Bond), mais aussi une « racine » due à la composition du cocktail. Le Cognac sera irrémédiablement plus français que le Bourbon, et le Rhum est difficile à éloigner des îles. Une part historique aussi, car chaque cocktail a un lieu de prédilection où il a été inventé. L’exemple type est le Sazerac, quasiment indéboulonnable de la Nouvelle Orléans. Enfin, il y a votre histoire, une histoire personnelle. Vous pouvez avoir bu certains cocktails dans un lieu, et comme pour une bouteille de vin, cela vous a marqué, et vous vous remémorez ce lieu à la manière d’une madeleine de Proust. Prenez le tout, shakez le (et pas à la cuillère), et vous vous créez vos divers univers imaginaires à chaque cocktail.

C’est pas cool ça ?